Cinéphilo : Neon Genesis Evangelion, dépression futuriste

Une série de
Hideaki Anno
Sortie
4 octobre 1995

Dans le précédent Cinéphilo, il était déjà question d’un animé japonais : Your Lie In April ; une œuvre aux multiples facettes qui va bien au-delà de son aspect enfantin de base. Neon Genesis Evangelion fait également partie de cette catégorie et s’est donc retrouvé naturellement dans la liste des sujets à aborder. Lorsque l’on découvre pour la première fois son générique d’introduction, une mélodie entraînante semble suggérer un monde d’aventure dont le héros est un jeune garçon ordinaire. L’exacte définition de ce que l’on appelle un shonen. Ce terme japonais renvoie à une multitude de mangas et animés d’aventure destinés à un jeune public plutôt masculin. Parmi eux on compte les illustres Dragon Ball, Naruto, One Piece, My Hero Academia

Le genre est caractérisé par son rythme, par les combats et le parcours initiatique du héros principal, de jeune insouciant à grand guerrier aux valeurs immuables. On y suit le plus souvent une histoire teintée de bienveillance et d’optimisme qui permettent à notre héros de toujours se tirer de ses mauvaises passes. Neon Genesis Evangelion (souvent abrégé Evangelion) se place à l’exact opposé de cet univers.

L’histoire se déroule en 2015, dans un futur (la série date de 1995) où la technologie s’est développée à vitesse grand V. L’histoire commence 15 ans après qu’une immense explosion en Antarctique ait changé la face du monde. Depuis ce mystérieux événement, d’étranges et immenses créatures appelées Anges apparaissent régulièrement et détruisent tout sur leur passage. Dans ce chaos constant les gouvernements se sont organisés pour riposter et survivre. La NERV, une organisation scientifique, a réussi à produire d’immenses armes, mi-monstre mi-machine, les Eva. Ils ne peuvent être pilotées que par des enfants, minutieusement sélectionnés, dont le taux de synchronisation avec la machine est suffisant. Au Japon, plus précisément à Néo-Tokyo, se trouve le QG de la NERV. C’est ici que nos héros devront faire face à l’apocalypse. Shinji Ikari, fils du chef des opérations de la NERV, se retrouve propulsé au rang de pilote d’Eva sans qu’on lui demande son avis. Dans sa sombre épopée, Shinji fera de nombreuses rencontres : Rey Ayanami (la première pilote), Misato Katsuragi (stratège de la NERV et figure maternelle de substitution), Ritsuko Akagi (cerveau scientifique de la NERV) ou encore Asuka Langley Soryu (la troisième pilote) ; quatre personnages féminins forts qui accompagneront Shinji, pour le meilleur et pour le pire.

Ce résumé ressemble encore à un shonen des plus classiques. D’ailleurs on peut même parler ici de Mecha, sous-genre du manga et de l’animation japonaise qui regroupe les récits où d’immenses robots affrontent de tout aussi immenses monstres. Mais de la même manière que Your Lie In April utilisait la musique classique comme prétexte pour parler de sujets profondément humains, Neon Genesis Evangelion utilise ses Eva et ses Anges pour évoquer des thématiques très intéressantes.

Entre Père et Mère

Une des problématiques centrales d’Evangelion est le parcours de Shinji et son rapport complexe avec ses parents. Orphelin de sa mère, Shinji entretient des rapports froids avec son père, Gendo. Celui-ci incarne la figure du père distant, dépourvu d’affection mais exerçant son autorité avec rigueur. C’est une situation terriblement anxiogène pour lui, qui se retrouve seul et sans repères. Tout au long de l’histoire, Shinji va chercher des figures parentales de substitution. Il trouve la première en la personne de Misato. Ceci nous amène au thème central de la parentalité dans l’oeuvre, qui montre comment une personne se construit par rapport à ses géniteurs. Après tout, qu’est-ce qu’un pilote dans une Eva, si ce n’est une métaphore du fœtus qui se développe ? Dans le cas de Shinji, c’est l’absence de modèles et de repères qui créent ce déni de caractère, son incapacité à prendre en main son destin. En effet, Shinji n’aime pas se battre et utiliser son Eva, même pour sauver la Terre. Evangelion pointe du doigt un sujet souvent ignoré dans les shonen : et si le héros ne voulait pas être un héros ?

Si la plupart des animés d’aventure partent du principe que le jeune protagoniste a soif d’aventure et d’héroïsme, il n’en est rien pour Shinji qui est complètement paralysé par les attentes qui pèsent sur lui. La pression vient surtout de son père qui, en tant que chef des opérations de la NERV, se retrouve dans un rapport d’autorité vraiment hiérarchique avec son fils. Evangelion, c’est le combat de Shinji qui porte le poids du monde sur ses épaules, tout en cherchant l’approbation de son entourage. La fin de la série apporte d’ailleurs son lot de scènes énigmatiques sur la psyché de Shinji, ses complexes et ses espoirs.

La question de la parentalité ne se limite pas à l’arc de Shinji. Elle relie la quasi-totalité des personnages principaux dans une véritable fresque freudienne. Misato déteste son père, disparu pendant le premier impact, et semble pourtant condamnée à tomber amoureuse d’un homme lui ressemblant : Ryoji Kaji. Ritsuko, de son côté, doit composer avec la disparition de sa mère, ancienne scientifique de la NERV. Un personnage encore une fois écrasé par les attentes et qui suit les traces de sa mère. Rey lutte également avec un bon nombre de problématiques parentales, puisque la jeune fille, elle aussi orpheline, est la protégée de Gendo Ikari, ce qui complique encore la situation de Shinji. Enfin Asuka a probablement le passif familial le plus lourd de la série, mais cette révélation est à découvrir au visionnage.

Evangelion dépeint en fait un monde rempli d’orphelins, d’individus en quête de repères et de sens. Sur une planète Terre où l’univers semble se retourner contre les humains, chacun tente tant bien que mal de survivre, et le regard finit invariablement par se tourner vers les cieux.

Anges et Démons

On remarque également assez vite que la série regorge de termes bibliques. Déjà son titre, Neon Genesis Evangelion, qu’on pourrait traduire par la Nouvelle Genèse de évangile, ne laisse planer aucun doute sur les parallèles religieux choisis par la série. Les Anges, les Eva, Adam (le premier ange), Lilith… De l’aveu des auteurs de la série, ces références n’auraient été inclues que parce qu’elles sont cool. Il faut dire qu’Evangelion est une œuvre spécialiste de la rétention d’information, aimant poser beaucoup de questions mais laissant le spectateur trouver les réponses… ou pas. Certaines références bibliques peuvent sembler gratuites, pourtant il est difficile de croire que tant d’éléments aient été laissés au hasard dans une œuvre à l’univers aussi détaillé et profond.

La venue des Anges sur Terre ne rappelle-t-elle pas la vision biblique de l’apocalypse, où les humains seront jugés pour leurs actes ? Et les Eva, créatures artificielles crées par l’homme, ne sont-elles pas conçues depuis la côte d’Adam ? Et que dire de la fin de l’animé, rappelant encore la description de l’apocalypse ? Et qu’est-ce que reconstruire le monde finalement, si ce n’est une nouvelle genèse ?Lorsque les dirigeants de la NERV tirent les ficelles en coulisse, ne sont-ils pas en train d’écrire un nouvel évangile ? Neon Genesis Evangelion, littéralement. Alors, est-ce que cette métaphore biblique parait toujours aussi vaine et gratuite ? Certainement pas.

Evangelion n’est pas une œuvre qui prend la main de son spectateur et le guide à travers ses niveaux de lecture. Bien au contraire, elle vous rendra la tâche difficile, alternant les styles (un épisode de pur combat, suivi d’un épisode expérimental, lui-même suivi d’un épisode sur le quotidien de Shinji) et les propos. Mais alors, rien de plus gratifiant que de réussir à saisir les idées et thématiques de la série au fur et à mesure de son visionnage, jouant le rôle d’un enquêteur en quête de vérité. Car si Evangelion dispose de nombreuses informations cachées, de théories et de concepts expérimentaux, on peut tout à fait l’apprécier pour chacune de ses qualités intrinsèques. En effet son animation absolument révolutionnaire pour son époque met à l’amende de nombreux animés plus récents et plus coûteux. Son univers riche et fouillé permet au spectateur de plonger entièrement dans son récit et ressentir chaque élément de Néo-Tokyo. Ses personnages profonds, nuancés et humains permettent un investissement émotionnel total.

Bien que sa conclusion soit à l’origine de nombreuses polémiques, si bien qu’une autre fin a dû être conçue pour corriger les faiblesses techniques de la première (The End of Evangelion), Neon Genesis Evangelion est une des œuvres majeures de l’animation japonaise, marquant un véritable tournant dans l’industrie et dans l’éventail des possibles en termes de narration. C’est un indispensable qui imprimera sa marque sur vous, fascinant autant qu’il désorientera !

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