Critique de Blade Runner 2049

Le Réplicant qui voulait être un vrai petit garçon

Un film de
Denis Villeneuve
Sortie
4 octobre 2017
Diffusion
Cinéma

Le reflet de Los-Angeles dans un iris, des rues enfumées grouillantes et bruyantes, une colombe, une licorne de papier… Ce sont des images d’un rêve, mais surtout de Blade Runner de Ridley Scott, un film qui, malgré un accueil très froid à sa sortie en 1982, a acquis au fil des années le statut de culte qu’il mérite et est considéré par certains (dont l’auteur de cet article) comme le meilleur film de science-fiction jamais réalisé. C’est pourquoi, il y a plus d’un an et demi, l’annonce de la mise en chantier d’une suite avait suscité à la fois beaucoup d’attentes, mais aussi une grande inquiétude. C’est à Denis Villeneuve, réalisateur en vogue à Hollywood et adulé, ici, sur Erreur 42, et qui a déjà fait ses preuves dans le genre de la science-fiction avec Premier Contact, que la tache quasi-impossible de donner une suite à ce grand classique a incombé.

Depuis l’attente du public n’a fait qu’augmenter entre les visuels incroyablement prometteurs, le casting 4 étoiles, les retours dithyrambiques des premiers spectateurs et le tapage médiatique et publicitaire intrusif. Le risque est grand mais le jeu peut-en valoir la chandelle, Blade Runner 2049 est-il un grand film de SF dans la juste lignée de son illustre ancêtre ou un échec lamentable et tristement prévisible ?

En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies…

Avoir vu… Tant de choses…

Blade Runner 2049 est un rêve éveillé. Visuellement, il est irréprochable. La direction artistique reprend l’idée du premier, utiliser des éléments de décors contemporains mêlés à un cadre futuriste, confondre le vieux, usé, et la pureté de la nouveauté pour créer un futur crédible. On retrouve la nébuleuse citadine de Los-Angeles, avec ses immenses immeubles noirs monolithique sur lesquels semble régner une nuit éternelle uniquement troublée par les immenses hologrammes publicitaires. Mais l’univers s’étend et on découvre aussi d’autres paysages : la déchetterie géante, le Las-Vegas désertique, les fermes artificielles… Chaque paysage a une identité forte renforcée par des couleurs fortement polarisées (Bleu pour L.A, ocre pour Vegas, etc…). Tout est grandiose, captivant et résolument réel.

Ce grandiose, cet hypnotisme, cet onirisme vient certes du génie des concepts arts, mais aussi de celui du réalisateur. Il n’y a plus de doute là dessus, Denis Villeneuve est un maître ! Il compose ses plans avec une minutie maniaque, un incroyable sens du symbolisme et une virtuosité indéniable. Le film étant largement tourné vers la contemplation, le montage est très posé et les plans ont tendance à s’étirer en longueur, permettant à Villeneuve de développer ses idées de mise en scène. Villeneuve, dans les plans plus larges, manipule habilement notre regard pour nous faire explorer le monde des yeux avant de saisir l’action et les personnages.

La réalisation est relevée également par la lumière de Roger Deakins, qui était déjà chef opérateur sur le premier Blade Runner et qui joue ici beaucoup sur des scènes teintées d’une couleur forte qui embaume le décor, des contrastes appuyés et des ombres mouvantes pour la dimension « hypnotique ».

Et au service de la réalisation, il y a enfin les effets spéciaux qui sont, tout simplement impeccables. C’est bien simple : on y croit. Confondants de réalisme et discrets malgré leur omniprésence, les effets visuels sont exemplaires. De plus les excentricités visuelles ne sont jamais gratuites, mais toujours au service de l’ambiance, de la poésie et du propos du film.

Briller deux fois plus forts… Et deux fois moins longtemps

Le film vous en met plein les yeux, mais aussi plein les oreilles. La musique a été composée en partie par Johan Johansson et terminée par Hans Zimmer. Elle s’inscrit pleinement dans le même registre que celle du premier film (composée par Vangelis) et récupère sa force mais échoue a imposer des thèmes aussi marquants. Il est cependant amusant de relever les motifs musicaux récurrents du premier film, comme des échos du passé liant les personnages. L’ambiance sonore est impeccable et les voix des personnages sont aussi retouchées pour accentuer leur caractère : un inquiétant monocorde pour l’agent K ou un écho presque divin pour le personnage de Jared Leto.

Mais Blade Runner 2049 n’est pas exempt de tout défauts : sa trame narrative est trop imparfaite et son rythme défaillant. Blade Runner 2049 est trop long et traîne franchement par moments et les spectres de l’ennui saisiront à coup sûr les spectateurs les moins sensibles à la poésie contemplative. Les personnages sont aussi très inégaux. L’antagoniste interprété par Jared Leto déçoit vraiment. Même si ses apparitions sont toujours marquées par sa prestance incroyable, renforcée par l’écho qui rehausse systématiquement sa voix, il n’a aucun trait de caractère et aucune motivation autre que de satisfaire son complexe de Dieu et ses longues tirades pseudo méta-physique n’ont aucun impact et manquent de sens. On n’a, finalement, pas de plaisir non plus à retrouver Deckard, tristement inintéressant malgré la tragédie qui l’entoure et l’excellence de Harrison Ford, le personnage oscillant entre une extrême bougonnerie et une extrême niaiserie sans aucune subtilité.

Rêver de moutons électriques

Mais tout n’est pas à jeter car Ryan Gosling, dans le rôle de l’Agent K est absolument providentiel, particulièrement aux cotés de la fantastique Ana de Armas. Il incarne à merveille cette figure glaçante et spectrale de l’exécutant pour qui il n’existe ni doute, ni libre arbitre. Il n’est jamais attachant et jamais rassurant mais a un cheminement « émotionnel » diablement bien pensé et captivant qui mène à une conclusion poignante, sur une musique qui confirme le lien qu’il a avec une autre personnage…

C’est d’ailleurs le seul personnage à avoir une fin convaincante. Le film s’embourbant dans une quantité de sous-intrigues trop importante pour son rythme, il est incapable de toutes les conclure. C’est donc avec un arrière gout de manque qu’on sort de la salle et d’incomplétude.

Si la narration est bancale, le film brille aussi de par les thèmes abordés, et la finesse avec laquelle il les traite. Blade Runner 2049 est une histoire d’oppositions. L’opposition entre les spirituels et les matérialistes, entre l’homme et la machine, mais surtout entre le vrai et le faux, le naturel et l’artificiel. L’artificiel est au centre du film : la démonstration de la force de son pouvoir de conviction, mais aussi sa faiblesse ou comment une simple erreur fait s’effondrer toute l’illusion. Souvent, le spectateur est mis face à cette contradiction. Mais au delà d’illustrer les contraires, on nous montre comme les frontières sont floues. Comment croire être autre chose permet d’affranchir ses contraintes, comment l’artificiel peut donner vie au réel, comment on fait le mal avec de bonnes intentions…

Blade Runner 2049 est le meilleur résultat possible pour un projet aussi risqué. C’est un trip contemplatif exceptionnel, une expérience visuelle et sensorielle maîtrisée et épatante, une parfaite extension à l’univers de Blade Runner qui manipule son héritage avec amour, respect, et une rigueur qui le rapproche presque du post-modernisme. On est face à un excellent blockbuster de Science-Fiction moderne, conscient et intelligent. Sa seule imperfection sera une narration en dent de scie et un scénario lacunaire. Mais ces quelques défauts seront perdus dans le temps… Comme des larmes… Dans la pluie. 

4.5

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