Critique de La Planète des Singes – Suprématie, Ape-ocalypse Now

CET ARTICLE EST GARANTI 100% SANS SPOILER !

L‘histoire de la saga La Planète des Singes est étroitement liée à celle du cinéma de Science-fiction, et ce depuis le premier film en 1968. Adapté du chef d’œuvre du romancier français Pierre Boule, cette saga confronte l’humanité à l’une de ses plus grandes peurs : la perte de sa suprématie sur la planète au profit d’une autre espèce.

C’est avec succès que la licence avait été rebootée en 2011, sous la direction de Rupert Wyatt avec La Planète des Singes : Les Origines et sa suite par Matt Reeves (qui réalisera aussi le prochain film The Batman) en 2014 avec L’Affrontement . C’est donc tout naturellement que trois ans plus tard, les salles obscures accueillent la grandiose conclusion à la lutte intestine entre le Singe et son plus proche cousin, conclusion qui porte justement le nom de Suprématie (War for the Planet of the Apes).

Dans ce volet final de la trilogie, César, à la tête des Singes, doit défendre les siens contre une armée humaine prônant leur destruction. L’issue du combat déterminera non seulement le destin de chaque espèce, mais aussi l’avenir de la planète.

Apes Together Strong

Tout d’abord il faut rendre à César ce qui est à César : la Planète des Singes – Suprématie est une merveille de technique. Chaque épisode de la trilogie avait repoussé les limites de la performance capture (procédé permettant de représenter des créatures numériques à partir des mouvements et du jeu d’acteur de comédiens). Et les singes de ce films semblent plus que réels que jamais. Que ce pour soit les personnages principaux (César, Maurice et Bad Ape), détaillés au poil près, ou les autres qui apparaissent en foule. La sophistication des effets spéciaux dépasse l’entendement, mais derrière eux il y a tout de même les acteurs, qui ne sont pas en reste. Sous l’imposant César se cache Andy Serkys, qui a aussi incarné King Kong et Gollum dans Le Seigneur des Anneaux, et qui est passé maître dans ce jeu d’acteur. A ses cotés on trouve Steve Zahn en Bad Ape, un personnage comique sympathique mais aussi significatif pour le développement de l’univers puisqu’il est plus civilisé que les autres singes (il est vétu et parle de propriétés privées). Mais c’est l’ensemble des acteurs, pour la majorité dans des rôles muets, qui portent le film. Des singes qui ne communiquent qu’avec des grognements et en langage des signes, accompagnés de Nova, une adorable petite fille mutique. Tous font preuve d’une grande sensibilité et de nuances dans leur jeu ; c’est un sans faute.

Il n’y a pas que les effets spéciaux qui font de ce film un régal pour les yeux puisque la réalisation est magistrale. Suprématie tourne le dos au montage rapide et épileptique habituellement associé aux gros blockbusters d’action afin de prendre le temps, dans des plans plus longs accompagnés de lents travelings, de composer des cadres avec plus de finesse, de chorégraphier son action avec plus de lisibilité et de mettre en scène ses décors et ses personnages avec plus de majesté. On remarquera quelques scènes emblématiques de la saga comme le massacre qui ouvre le film ou les singes chevauchant sur la plage. Il faut aussi saluer la maîtrise de l’éclairage et les variations des palettes de couleur accentuant l’écart entre les décors (la relative sécurité des forêts originelles avec des couleurs chaudes et l’hostilité aride des neiges avec des teintes de gris). La réalisation est méthodique, précise, efficace et saisissante.

Humans get sick. Ape get Smart

La Planète des Singes – Suprématie est chargé en symbolisme et en références dans ses visuels, avec des images fortes comme César s’accrochant à un drapeau Américain enflammé par exemple, allégorie assez évidente de l’effondrement de l’Empire Américain causé par le déclin de l’Humanité (et vice-versa). Il fourmille aussi de parallèles historiques et bibliques (le lien entre César et Moïse se confirme au fil du film). Mais en plus de ces références le film rend hommage au cinéma (Matt Reeves qualifie Suprématie de « lettre d’amour au cinéma et de fait, de Platoon à Apocalypse Now en passant par Indomptable, le spectre des références est large), ce qui introduit un passionnant jeu de pistes avec le spectateur qui cherchera à trouver les redites et à en comprendre la signification.

Dans l’écriture, le film brille aussi par la richesse des thématiques qu’il aborde et la profondeur de ses personnages. Il développe le personnage de César autour de la lourdeur du rôle de meneur, et sa difficulté à assumer la civilisation qu’il doit créer. Il est également assez intéressant de le comparer à l’antagoniste principal : le colonel. Ce dernier, brillamment incarné par Woody Harrelson, ne pense qu’à l’extermination des autres, alors que César ne veut que construire. Cependant le colonel veut comprendre César, lier une relation avec lui, alors que le singe, animé par la vengeance, ne cherche qu’à détruire son ennemi. Là où le colonel aurait pu être un ennemi exagéré et unilatéral, il s’avère animé par des intentions complexes et des sentiment compréhensibles. Enfin le film développe une réflexion sur la responsabilité, la survie, la peur, l’évolution, la déshumanisation qui vient avec la barbarie de la guerre et une critique acerbe du dogme, de l’embrigadement, de la ségrégation et de l’impérialisme américain.

VILAIN SINGE !

Mais quelques petits défauts viennent entacher ce splendide tableau, et ce sont d’abord les dialogues qui pêchent. En effet la complexité des thématiques et des personnages se paye par une sur-explication permanente. Le début de film expose déjà maladroitement la situation par un dialogue sans aucun naturel et tout au long du long métrage, on trouve de longs dialogues qui s’éternisent, uniquement consacrés à détailler à haute voix et dans les moindres détails, les pensées des protagonistes, leurs motivations, leurs situations, leurs appréhensions… Le film ne laisse aucune place à l’implicite et n’a aucune subtilité non plus dans l’exposition de ses messages. On pourrait interpréter cela comme une volonté de secouer le spectateur, d’être direct, « rentre dedans », mais on à surtout l’impression que le film n’estime pas le spectateur assez intelligent pour appréhender sa profondeur, ce qui peut agacer…

De même que la sur-explication est le prix de la complexité de l’écriture, la réalisation lente et détaillée se paye par un rythme traînant, voire une certaine mollesse, et surtout un milieu de film diablement statique et répétitif qui semble interminable. Le film joue assez habilement sur la tension pour que cette lenteur ne soit pas rédhibitoire mais on sent tout de même le temps passer sur certaines séquence pauvres en enjeux et riches en dialogues interminables.

Pour conclure cette trilogie Suprématie joue la carte de la mélancolie, de la poésie morbide et de la contemplation. Porté en apothéose par des acteurs exemplaires et une réalisation incroyablement soignée, ce dernier volet utilise l’empathie que nous avons déjà développé pour certains personnages pour nous faire frissonner, ses visuels forts pour nous impressionner, et son argumentaire chargé pour nous faire penser. On ne peut plus guère que regretter une écriture trop didactique et un milieu de film traînant qui viennent noircir le portrait. Cette saga, qui aura définitivement été une des plus palpitante d’Hollywood des années 2010, se conclue en apothéose. Elle prouve que guidés par de vrais auteurs avec de vrais intentions et un vrai projet, un reboot peut être glorieux. Mais s’il y a une chose à retenir de la quête de César, c’est que Rome ne s’est pas construite en un jour.

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  1. Je suis globalement d’accord avec l’ensemble de ta critique. Le milieu du film plombe le rythme du film, les références bibliques sont trop nombreuses à mon goût et je trouve certaines symboliques un peu forcée – la bannière étoilée en feu par exemple, ça ne supplantera jamais Lady Liberty ensablée…

    Et j’ai vraiment eu beaucoup de mal avec les personnages de Bad Ape et de Nova qui sont pour moi dispensable et trahissent trop les volontés des scénaristes – il faut faire rire et pleurer le chaland…

    C’est un bon blockbuster, certes, mais il reste à des années lumières du film de Schaffner.

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