Critique d’Ocean’s 8 : la casse du siècle ?

Un film de
Gary Ross
Sortie
13 juin 2018
Diffusion
Cinéma

Ces derniers temps, les consciences semblent s’éveiller à Hollywood au sujet de la place des femmes dans l’industrie et de leur représentation dans les médias de masse. Si des revendications de castings, d’équipes et de panels de personnages plus diversifiés sont présentes depuis bien longtemps, elles ne semblent véritablement trouver écho qu’aujourd’hui, au lendemain d’un scandale ayant exposé au monde entier le pire de ce que l’industrie a à se reprocher en terme de sexisme. C’est dans ce contexte riche en débat et en transformations que sort Ocean’s 8, suite et spin off entièrement féminisé de la saga Ocean’s (Ocean’s 11, 12, 13) de Steven Soderbergh. Que vaut alors ce film qui fait déjà beaucoup parler de lui ?

Cinq ans, huit mois, 12 jours… et le compteur tourne toujours ! C’est le temps qu’il aura fallu à Debbie Ocean pour échafauder le plus gros braquage de sa vie. Elle sait désormais ce qu’il lui faut : recruter une équipe de choc. Le butin convoité est une rivière de diamants d’une valeur de 150 millions de dollars. Le somptueux bijou sera autour du cou de la célèbre star Daphne Kluger au cours du Met Gala, l’événement de l’année. C’est donc un plan en béton armé. À condition que tout s’enchaîne sans la moindre erreur de parcours. Enfin, si les filles comptent repartir de la soirée avec les diamants sans être inquiétées…

Pas vraiment un bijou…

Annonçons la couleur tout de suite : Ocean’s 8 n’est pas un bon film du tout, certainement pas au niveau de ses prédécesseurs. Mais ce n’est pas un mauvais film non plus. Il est finalement caractérisé par une qualité particulièrement moyenne. Il se garde tout autant d’être irregardable que d’être intéressant. Mais rentrons, tout de même, dans le détail.

Au mieux, on peut dire du scénario d’Ocean’s 8 qu’il est paresseux. Il est écrit selon une formule très classique : un génie du crime élabore un plan farfelu et compliqué pour dérober une somme astronomique d’argent, rassemble une équipe pour mener ce plan à exécution, sur la route, quelques embûches, qui sont surmontées par astuce et virtuosité et voilà. Cette formule canonique, revue et re-revue n’est, en soi, pas problématique. Il n’y a pas de mal à se baser sur un modèle scénaristique répandu; Ocean’s 11 (qui fait relativement l’unanimité) suivait déjà cette formule d’ailleurs. Mais le scénario devrait donc puiser son originalité, et j’oserai dire son intérêt, dans  d’autres éléments que sa structure. Ocean’s 11 est porté par des personnages intéressants, un suspense bien géré et des péripéties surprenantes. Ocean’s 8 n’a, malheureusement rien de cela.

Ocean’s 8 est habité par une galerie de personnages purement clichés qui, fatalement, enchaînent les situations convenues. La hackeuse est une inadaptée sociale, la pickpocket est une excentrique qui ne peut pas s’empêcher de voler, les organisatrices du coups sont froides, calculatrices et aiment poser dramatiquement en imper dans les ouvertures de portes, etc… On obtient tout ce qu’on est en mesure d’attendre de chaque personnage sans la moindre recherche, et c’en est vite lassant. D’autant que, contrairement à ce qu’on pourrait espérer d’un casting aussi impressionnant, les performances d’acting ne sont pas toujours au niveau. Entre celles qui sous-jouent (Sandra Bullock et Cate Blanchet ne semblent pas du tout impliquées et sont parfois à peine audibles) et celles qui sur-jouent (Elena Bonham Carter, Anne Hathaway et Rihana en roue libre), toutes les actrices n’ont pas l’air d’être dans le même film ce qui donne finalement une drôle d’impression et empêche complètement l’implication dans les personnages.

Et un plan avec accrocs

Les autres éléments de l’histoire ne sont pas beaucoup plus recherché. Le plan du braquage n’a rien de surprenant, jusque dans sa révélation finale tristement prévisible et les péripéties ressemblent plus à des formalités posées sans conviction. Le film se suit donc sans implication. Cela se ressent tout au long du film, où toutes les résistances semblent molles et désincarnées, mais surtout dans la dernière partie, avec l’apparition d’un enquêteur dont l’histoire est expédiée rapidement et qui n’apparaît absolument pas comme une vraie menace, puisqu’il n’est pas considéré en tant que tel. Et malgré un manque évident de complexité, de regrétables incohérences de scénario viennent tout de même perturber l’expérience du spectateur. 

Et visuellement, Ocean’s 8 souffre des mêmes tares. La photographie et la réalisation semblent tout bonnement peu inspirées. Certes, Gary Ross (Hunger Games) filme l’action avec une lisibilité agréable et une certaine fluidité. Ils sait, de plus, tirer avantage de beaux décors s’inspirant du design moderne et de costumes parfois splendides pour relever un peu sa mise en scène. Mais la cinématographie manque tout de même de style surtout, encore une fois, comparée à celle des précédents Ocean’s, partiellement marqués par la démarche d’auteur de Soderbergh. Les cadres sont classiques, les mouvements de caméras traditionnels et la photographie d’une platitude certaine. Quelques fantaisies de montage, comme des transitions originales ou des splits screens, viennent tenter de styliser le film, mais ce n’est qu’une démarche artificielle qui, si elle sert le rythme, ne sauve pas les visuels du film et ne sert aucun fond.

Il est, cependant, quelques points sur lesquels nous nous devons d’être clairs. Bien que nous doutons de sa qualité, Ocean’s 8 nous semble être un film important. D’abord parce que tous les films, à leur échelle, sont importants mais surtout parce que c’est un film de transition vers un Hollywood aux valeurs différentes et à l’inclusivité plus honnête. En effet, aujourd’hui en 2018, si un film avec un casting presque exclusivement masculin ne se fait pas remarquer, un groupe d’actrices fait systématiquement jaser et attire autant les critiques idiotes que les sympathies mal placées. Même si on ne l’a pas beaucoup aimé, il faut soutenir Ocean’s 8 en étant conscient de ses lacunes, car si le produit est bancal, la démarche est noble. Un film avec un cast majoritairement féminin passe encore pour une particularité et un geste militant. Après le SOS Fantômes de 2016, il est toujours regrettable de voir le peu d’efforts mis dans ces films car, quand ils deviennent des échecs commerciaux, ils donnent des armes à ceux qui veulent faire croire que le public ne veut pas d’héroïnes. Ocean’s 8 est une surcompensation, une réponse ostentatoire à la sous-représentation des femmes dans des rôles forts. C’est une étape dans le chemin vers un équilibre qu’il ne faut pas dénigrer, mais reconnaître, étudier et critiquer avec constructivité.

D’autant qu’Ocean’s 8 reste en réalité loin d’être irregardable. Si le film manque d’originalité et a des défauts certains, il reste indéniablement divertissant, bien rythmé, agrémenté de quelques bons moments de tension et accompagné d’une bande-originale assez sympathique. De plus, malgré les impairs, voir toutes ces femmes, importantes pour le cinéma et la culture populaire, se rassembler ainsi a quelque chose d’inspirant. Enfin, Ocean’s 8 est, comme on l’a déjà dit, une étape visible vers une industrie du divertissement plus juste et équitable. On en trouve encore pour être offensé par un tel casting seulement parce-que c’est encore trop inhabituel. Ocean’s 8 n’est pas une grande révélation, mais il fait partie intégrante du paysage du cinéma de divertissement contemporain et fait avancer sa grande histoire.

2.5

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