Cinephilo : Hong Sang-soo, un cinéma dépouillé ?

Dans le paysage cinématographique actuel, nous sommes souvent inondés par les blockbusters. Que ce soit au nombre d’entrées en salles ou simplement de part leur couverture médiatique, les films grand public aux budgets faramineux prennent beaucoup de place. Bien sûr, lorsque l’on aime le cinéma, il n’est pas difficile de s’éloigner de ces productions pour varier ses expériences de spectateur.

Mais imaginons qu’un réalisateur, encore aujourd’hui, arrive à concilier succès critique avec budget minuscule ? Les exemples dans ce cas ne sont pas si rares, cependant on observe rarement ce phénomène sur l’entièreté de la carrière d’un réalisateur. C’est pourtant le cas de Hong Sang-soo.

Hong Sang-soo est un réalisateur sud-coréen, né en 1960, récompensé à plusieurs reprises et un habitué des grands festivals (Cannes, Berlin, Venise…). Son cinéma est un véritable ovni. Il se caractérise par plusieurs aspects. Tout d’abord, ses films sont réalisés avec des budgets extrêmement réduits. Non pas par contrainte, mais bien par volonté du réalisateur de proposer des films très dépouillés. Car il n’est pas rare qu’un réalisateur fauché, après un grand succès, obtienne de plus gros budgets. Ses œuvres sont tournées avec des équipes très réduites (4 techniciens pour Oki’s Movie). On serait alors en mesure de se demander en quoi de tels parti-pris peuvent servir le propos artistique d’une œuvre ? Ce n’est pourtant pas ici que s’arrête l’originalité du réalisateur coréen.

Dans ses étranges méthodes de travail, on compte aussi la grande absence de dialogues écrits. En effet, Hong Sang-soo aime donner la part belle à l’improvisation. Seule une ligne directrice est donnée pour le scénario, puis Hong Sang-soo écrit ses dialogues en fonction de la personnalité de ses acteurs. L’improvisation oblige les acteurs à adopter une grande discipline, car le réalisateur est aussi un grand amateur de plan-séquence. Scénario et mise-en-scène se répondent parfaitement dans cette envie de simplicité. Mais du coup, de quoi parlent les films d’Hong Sang-soo ?

Sunhi © Jeonwonsa Film

Si l’on devait résumer, les films du réalisateur coréen parlent toujours de la même chose : les relations humaines. Evidemment, l’amour est central mais Hong Sang-soo s’intéresse tout autant à l’amitié, aux rencontres éphémères. Il semble d’ailleurs avoir un amour tout particulier pour ces dernières. Le protagoniste de ses films est souvent amené à rencontrer des gens sur son chemin, qui l’aideront à grandir ou à se trouver lui-même. Séparément, chaque rencontre parait absurde ou peu importante. Mais lorsque le protagoniste arrive au moment d’une prise de décision (souvent à la fin du film), c’est l’addition de toutes ces rencontres qui lui permettra de choisir.

La temporalité des films de Hong Sang-soo est presque toujours déconstruite. Le réalisateur aime jouer avec le spectateur en faisant des aller-retours dans le temps. On ne sait plus alors si nos personnages se sont rencontrés hier ou s’ils ne se connaissent pas encore. Le meilleur exemple est certainement Hill of Freedom, où un jeune japonais venu visiter la Corée se perd dans les rues d’un village. Ici, chaque journée est une leçon indépendante, et on ignore laquelle a précédé l’autre. Dans Un jour avec, un jour sans, on suit un réalisateur coréen et sa rencontre avec une jeune femme. Le film se divise en deux journées ou plutôt deux versions d’une même journée, où le protagoniste prendra des décisions différentes, menant à des fins différentes.

Pour Hong Sang-soo, le sublime se trouve dans les instants simples où deux personnes échangent. La plupart du temps autour d’un repas, accompagné de verres de soju (le réalisateur est connu pour son amour envers cet alcool coréen). C’est dans ces moments que sa caméra devient immobile, laissant le soin aux personnages de captiver par leurs émotions. Hong Sang-soo s’interroge sur la nature de l’autre, son altérité, sa ressemblance. Que cela soit entre un homme et une femme, un japonais et une coréenne (Hill of Freedom), une française et un coréen (In another country)… Est-ce que l’on existe pour les autres ? Qu’est-ce qui nous différencie ? Comment appréhender la solitude ?

Un jour avec, un jour sans © Jeonwonsa Film

Hong Sang-soo est un artiste total. Auteur et réalisateur, il n’hésite pas à mettre une très grande partie de sa vie dans ses films :

  • Ses héros sont souvent réalisateurs ou étudiants en cinéma
  • Sa femme (Ki Min-hee, connue pour avoir joué dans Mademoiselle) joue dans plusieurs de ses films
  • Le soju est omniprésent lors des repas

Il n’y a donc pas d’œuvre majeure dans le cinéma d’Hong Sang-soo. Non, l’œuvre majeure, c’est sa filmographie en tant que tout. C’est une mosaïque regroupant de nombreuses facettes qui, ensemble, forment un tableau cohérent.

La forme totalement dépouillée et peu coûteuse de son cinéma lui donne la liberté nécessaire pour raconter sans contrainte, tout en allant dans le sens de son propos général. Un OVNI peu médiatisé qui a donc trouvé la recette pour vivre de son art tout en ayant la reconnaissance de ses pairs, voilà ce qu’est Hong Sang-soo.

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