Cinéphilo : Tim Burton, plus rien à dire ?

Le remake de Dumbo est pour bientôt, avec un casting très reconnaissable et une direction artistique du même acabit. En effet, c’est Tim Burton qui va remettre le couvert avec Disney, son meilleur ennemi, pour son prochain film. Un choix assez surprenant lorsque l’on connait les affres de la carrière de Burton.

Un réalisateur d’abord loué pour son style très personnel, puis projeté dans le monde du blockbuster, pour ensuite être critiqué pour son manque de renouvellement. Car si la recette est bonne, il est difficile de l’apprécier après un grand nombre de films qui l’utilisent inlassablement. Sur les 10 dernières années, les films de Burton connaissent en général un accueil pour le moins tiède de la part de la critique. Comment le réalisateur le plus en vogue des années 80 en est-il arrivé là ?

Ce qui caractérise la carrière de Burton, c’est la vitesse avec laquelle elle a décollé. Après avoir travaillé quelque temps chez Disney en tant que dessinateur, le jeune Tim se sent frustré, incapable d’exprimer son style tout en restant dans les clous. Après quelques court-métrages (qui deviendront plus tard certain de ses films), Burton arrive à se lancer. Son début de carrière va connaître une période de montagnes russes : en l’espace de 5 ans (entre 1984 et 1989), il connaîtra un succès de comédie (Pee Wee Big Adventure), une comédie horrifique (Beetlejuice), et le plus gros chiffre du box-office mondial (Batman). Lui qui n’a jamais aimé la pression des grands studios, il se retrouve comme étant le réalisateur le plus bankable de la Warner. Le tournage de Batman reste, selon lui, l’une de ses pires expériences de plateau. C’est un peu le « paradoxe Burton ». Un introverti qui se retrouve propulsé dans une industrie faite de pression, de stress et de deadlines. Pourtant, cela n’a pas empêché le réalisateur d’exprimer sa vision. Ses films gardent toujours une patte très personnelle, aussi bien visuellement que narrativement.

Ce qui intéresse le réalisateur taciturne, ce sont les exclus, les parias, les monstres, les incompris. Burton a un amour tout particulier pour ceux que la société ne comprend pas ou ne veut pas comprendre et rejette. Ajoutons à cela son admiration pour l’expressionnisme allemand, ainsi que les films d’épouvante de série Z. Burton puise directement ses thèmes favoris dans son enfance, laquelle fut solitaire mais très marquante pour le réalisateur. C’est de cette période qu’est née son sentiment d’être différent, peu commun. Sur la partie visuelle, le « style Burton » va chercher ses racines dans l’expressionnisme allemand (à nouveau). Personnages aux grands yeux et aux longs membres, perspectives déformées et paysages irréels, Burton a littéralement importé son style de dessin dans l’esthétique de ses films. Et l’on retrouve autant ces gimmicks dans ses films les plus personnels (Frankenweenie ou Edward aux mains d’argent) que dans ses productions de studios (Alice au pays des merveilles ou Batman).

Le tournant de la carrière de Burton se trouve certainement quelque part au milieu des années 90. A ce moment-là, Tim a déjà connu l’un de ses plus grands succès commerciaux (Batman), et ses plus grands succès critiques (Ed Wood et Edward aux mains d’argent). Comment donner un nouveau souffle à une filmographie qui semble avoir déjà tout dit ? Pour cela il va, contre toute attente, se diriger vers les grosses productions de studios. Un choix étonnant quand on sait à quel point Burton tient à son indépendance artistique. Sa carrière va alors changer de visage. Lui qui s’était habitué aux succès critique accompagné de résultats modestes au box-office, va voir le phénomène s’inverser. Alors que ses films commencent à diviser la critique, les succès au box-office vont devenir beaucoup plus importants. La planète des singes est le début de cette tendance. Une tendance qui atteint son apogée avec Alice au pays des merveilles, le plus gros succès commercial de toute sa carrière. Pourtant, le film est loin d’être acclamé par la critique. C’est le public qui va porter le film. Désormais les fervents admirateurs sont rejoints par une foule de spectateurs nouveaux, venus pour voir un Disney plus que pour voir un Burton. Il est assez ironique de savoir que Burton doit son plus gros succès au studio qu’il avait quitté il y a plus de 20 ans.

Edward aux mains d’argent © 20th Century Fox

On peut cependant voir une parenthèse en 2004 avec Big Fish, où le réalisateur revient à l’un de ses thèmes centraux : le rapport au père. Une parenthèse de courte durée, le film connaissant un succès correct, le filon ne sera pas plus exploité. Qu’est-ce qui a changé dans les films de Burton pour que s’opèrent de telles transformations dans sa carrière ? La réponse se trouve encore une fois dans le « style Burton ». Là où il était à une époque la fusion d’une vision d’auteur et d’une esthétique propre, il devient au fil des années une parodie de lui-même, ne se reposant plus que sur des gimmicks usés. Sa méthode avait déjà commencé à montrer ses limites en 1992, lorsque le réalisateur s’était attelé à la suite de Batman. Batman, le défi illustrait parfaitement l’un de ses problèmes de narration: il s’intéresse plus aux antagonistes qu’à son héros. Or, un Batman anecdotique dans un film Batman, ça ne sonne jamais bien. Et le phénomène va continuer dans les années 2000. Alice n’est pas la star de son propre film, c’est Le Chapelier interprété par Johnny Depp qui lui vole la vedette. Le casting est d’ailleurs une excellente illustration de l’absence de renouvellement de Burton. Là où des acteurs comme Johnny Depp ou Helena Bonham-Carter apportaient de la fraîcheur dans les années 90, aujourd’hui la sensation de déjà-vu et de répétition commence à se faire sentir. Il ne semble plus vouloir quitter sa zone de confort, s’entourant des mêmes acteurs encore et encore et recyclant ses thèmes sans y apporter de nouveau souffle.

Cependant, comme nous avons pu le voir, Tim ne serait pas le seul à blâmer. A vrai dire, nous avons aussi vu que le réalisateur fantasque n’avait rien perdu de son originalité lorsqu’il se décidait à l’exploiter. Hélas, que ce soit pour Big Eyes, Frankenweenie ou Big Fish, les chiffres du box-office ont été dérisoires en comparaison de ses grosses productions moins personnelles. Le public donc, ainsi que les studios, sont également responsables, n’ayant pas poussé le réalisateur à tenter encore de nous surprendre, se contentant de blockbusters plus conventionnels.

La situation de Burton nous en dit long sur la situation de nombreux auteurs réalisateurs à Hollywood. Lorsque leurs films les plus consensuels sont leurs plus grands succès, comment leur en vouloir d’exploiter le filon ? Burton a changé. Sa place dans le Hollywood actuel est bien différente de celle qu’il occupait à ses débuts dans les années 80. Mais son public aussi.

Sa collaboration avec Disney a également édulcoré son style. Difficile de l’imaginer proposer des images aussi déjantées que celles présentées dans Beetlejuice, ou aussi tendancieuses que celles montrées dans Batman, le défi. Nous sommes alors en mesure d’être perplexe face au projet Dumbo porté par Burton et Disney, bien que la famille soit un des thèmes centraux du films. Cependant, il n’y a aucun doute que le studio saura en faire un succès commercial, un de plus pour la carrière du réalisateur « hors des clous ».

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