Entretien avec Karey Kirkpatrick

Nous avons eu la chance de nous entretenir longuement avec Karey Kirkpatrick lors du dernier Festival d’Annecy. Scénariste de métier il a connu le succès très jeune avec Chicken Run, oeuvre culte qui a marquée toute une génération. Il revient sur son attrait pour l’animation, sa vie et nous donne même quelques informations sur Chicken Run 2 !

Il présente son premier film ce mois-ci : Yéti et Compagnie, qui sort en salles le 17 octobre et raconte l’histoire d’un jeune yéti qui découvre l’existence des humains et du mensonge qui l’entourait.

Que raconte Yéti et compagnie ?

Yéti et compagnie raconte l’histoire de Bigfoot mais inversée. Il y a le mythe du Bigfoot, l’abominable homme des neiges, le yéti, ou peu importe comment vous l’appelez, et ce film a pour postulat des yétis qui vivent dans l’Himalaya et qui croient que les humains, qu’ils appellent « Petits pieds » n’existent pas, que ce sont des créatures mythiques. Alors on s’est amusé à prendre le mythe du Bigfoot et l’inverser.

Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire-là ?

Et bien, cette idée venait au départ de Sergio Pablo qui a créé le film et la franchise Moi, Moche et Méchant et je pense que ce que cela nous permet de raconter un conte satirique très allégorique. C’est à propos de la peur de l’autre. Nos yétis vivent dans ce monde primitif, une montagne qui dépasse les nuages et selon leurs croyances, leur monde est une île, unique dans le monde. Ils vivent dans les nuages et en-dessous, il n’y a rien. Vous savez, rien que ce concept nous permet de nous moquer, de rire de l’ethnocentrisme. La plupart d’entre-nous, peu importe d’où nous venons, de quelle peuple, de quel pays, avons tendance à voir le monde de notre point de vue et tout le reste devient «étranger». Ce film nous a permis d’en parler d’une manière très comique et d’en faire des personnages moyenâgeux en quelque sorte. Vous savez, comme ces vieilles cartes médiévales montrant les bateaux tombant du rebord de la Terre. La façon dont le monde était perçu avant que les gens ne soient plus éclairés. Cela nous permet de raconter une histoire comme celle-ci, à travers le point de vue des yétis. Et puisque qu’ils sont d’une certaine manière primitifs, cela nous a permis d’utiliser l’humour dans leur perception de nous. Tout simplement.

Comment avez-vous ressenti cette expérience en tant que réalisateur ?

D’un côté, c’est difficile à cause du volume de travail. Avoir la responsabilité d’écrire Yéti et compagnie, de co-écrire les chansons et dans le même temps de le réaliser, c’est beaucoup de boulot. C’est trois fois plus de travail que si je l’avais seulement réalisé. Mais de l’autre côté, cela m’a permis d’être au centre de tous les changements. Bien souvent, ce qui est difficile dans la réalisation, c’est de faire en sorte que les voix dissonantes arrivent à s’entendre pour raconter la même histoire. Aussi, travailler sur ces trois aspects fait disparaître cette difficulté, car je sais quelle histoire j’essaie de raconter, je sais le ton que j’essaie d’employer. Dans ce sens-là, cela a rendu les choses un peu plus simples, il y a moins de quiproquos. Mais c’était énormément de travail.

Vous avez déjà travaillé sur des films d’animation célèbres tel que Nos voisins les hommes en temps que réalisateur ou Chicken Run comme scénariste et aujourd’hui vous réalisez Yéti et compagnie. Qu’est ce que vous aimez dans l’animation ?

Ce que j’aime vraiment dans les films d’animation, c’est que ce sont nos fables contemporaines. Il y  a des centaines d’années, nous avions les fables d’Ésope, les contes des frères Grimm, des histoires comme Jack et le Haricot magique. C’était des allégories sur des problématiques quotidiennes très larges (Des problèmes moraux ?) Oui absolument, et je pense que l’animation permet de repousser les limites comiques, visuelles : cela permet de raconter des satires sociales sous forme allégorique. C’est à la fois divertissant mais il y a un fort message derrière et je pense que les messages sont précieux pour les plus jeunes spectateurs. Parce que je pense que les enfants, qu’ils le réalisent ou non, vont voir ces films pour apprendre comment vivre leur vie et il y a des valeurs qu’ils peuvent imiter en regardant d’autres lutter. Par exemple dans Yéti et compagnie, le mensonge est un des grands thèmes du film. Les yétis vivent dans le mensonge, celui que les humains n’existent pas et on leur a appris à vivre dans la peur de l’autre. Il est plus facile de simplement prétendre qu’ils n’existent pas plutôt que d’essayer de coexister avec eux. La question est de savoir quand vous faites face à un mensonge avéré ou à la vérité, que faîte-vous ? Nos personnages font d’abord le mauvais choix puis finissent par faire le bon choix. Aussi je pense que c’est une leçon importante non seulement pour les enfants, mais pour les adultes également. Et parce que c’est animé, puisque ce sont des yétis, puisque c’est musical, cela appuie la comédie ce que je pense met en valeur la satire sociale et l’allégorie. Cela me plaît énormément. Sur tous les films sur lesquels j’ai travaillé, il fallait cette qualité-là pour m’intéresser. S’il n’y a pas, d’une manière ou d’une autre, un élément de satire ou de la subversion, je ne trouve pas cela si intéressant.

Pourquoi avez vous choisi de venir au festival d’Annecy pour présenter Yéti et compagnie ?

Je crois que la décision a été prise par Warner Bros. et Warner Bros. Animation. Ils étaient là l’année dernière et je pense qu’ils ont été présents plusieurs années. Je pense qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour présenter le film, en particulier pour nous, pour Warner Bros. Animation. C’est enraciné dans l’histoire du studio, avec les Looney Tunes entre-autre. J’ai été élevé avec Bugs Bunny, Daffy Duck que je regardais encore et encore enfant, donc tout cela fait partie de moi. Cela a très tôt façonné ma vision de la comédie, mon sens de l’animation, le style « squash and stretch ». Il était normal pour moi de faire partie de cette tradition et de venir ici, à Annecy. (Et cela, je veux dire, le niveau d’amour pour l’animation est vraiment… Voir les gens faire la queue pour à la fois voir des court-métrages animés ou ce que les studios préparent, cet amour de l’animation. Voir ces visages de fans, ces visages derrières ces écrans d’ordinateurs, ceux qui normalement… )est très gratifiant pour nous parce que les fans d’animations peuvent tout aussi bien rester traîner dans leur lit avec leur ordinateur portable. Peu importe où il vont regarder tout ça. Et bien, nous faisons la même chose lorsque nous créons ces films. Me concernant, pour la réalisation de Yéti et compagnie. J’étais en gros dans trois pièces différentes la plupart du temps, devant un écran, en concertation avec d’autres personnes. Donc aller dehors, être parmi les gens (dans la vie réelle), oui voilà, parmi ces gens qui aiment l’animation à ce point c’est… Je veux dire, je sais que nos films sont plébiscités par le public, mais il y a toujours cette fan base, ces gens qui aiment vraiment l’animation. Ceux qui l’aiment comme cela, je pense que ce sont ceux qui nous font rester sur nos gardes, artistiquement parlant. Parce que quand vous voulez venir à un endroit comme Annecy, vous vouez montrer votre film, et que les gens se disent « Oh ! C’est vraiment très bien ! ». C’est un public très exigeant quand ils sont au fait de toutes les sortes d’animations. Peu importe la référence que vous utilisez, ils la saisiront. Donc vous avez intérêt à assurer.

Dernière question : parlons un peu de Chicken Run. Un sequel a été annoncé pour 2019. Qu’est ce que cela vous fait de travailler dessus, dix neuf ans après le premier ?

C’est formidable. Le premier film était très particulier pour moi. J’étais assez jeune, je débutais ma carrière. C’était un cadeau de me faire travailler sur une si grande idée, avec des types si talentueux, tels que Nick Park et Peter Lord. J’ai été sur ce film pendant trois ans et demi, c’était l’une des expériences créatives les plus enrichissantes en trente ans de carrière. Donc y revenir, revoir ces personnages, des années après, ça m ‘a rendu un peu nerveux. Ce à quoi ça allait pouvoir ressembler. Mais une fois que vous êtes assis et que vous commencez à écrire leurs noms, leur façon de parler, tout ça, c’est ancré en moi. Et j’écris avec John O’Farrel que j’ai rencontré sur le premier Chicken Run et qui a repris quelques dialogues. Nous travaillions tous les deux dessus. D’ailleurs, je vais à Bristol lundi, voir de quoi ont l’air les premières séquences. Nous avons écrit pendant deux ans, et ils en ont enfin débuté le processus de réalisation. C’est génial, c’est une bonne histoire et je pense que ce sera divertissant. En tout cas, je l’espère pour une suite qui sortira vingt ans après le premier. Ce qui est bien à ce propos, c’est que le premier a été de plus en plus aimé au fil du temps, et maintenant il y a toute une jeune génération qui ont grandi avec le film, qui maintenant ont la vingtaine et qui reverront Chicken Run. C’est merveilleux.

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